Tite Live, Ab Urbe condita, XXX,30

« Hannibal : « Faisons la paix ! »

202 av. J.-C. : l'armée de Scipion se trouve maintenant à proximité de Carthage. Hannibal sollicite une entrevue avec le général romain et les deux géants se retrouvent face à face, à égale distance de leurs camps respectifs.

« Si hoc ita fato datum erat ut qui primus bellum intuli populo Romano, quique totiens prope in mani­bus victoriam habui, is ultro ad pacem petendam venirem, laetor te mihi sorte potissimum datum a quo peterem. Tibi quoque inter multa egregia non in ultimis laudum hoc fuerit, Hannibalem, cui tot de Romanis ducibus victoriam di dedis­sent, tibi cessisse, teque huic bello, vestris prius quam nostris cladibus insigni, finem imposuisse. Hoc quoque ludibrium casus ediderit fortuna ut, cum patre tuo consule ceperim arma, cum eodem primum Romano imperatore signa contu­lerim, ad filium ejus, inermis, ad pacem petendam veniam.
Optimum quidem fuerat eam patribus nostris mentem datam ab dis esse ut et vos Italiae et nos Africae imperio contenti essemus ; neque enim ne vobis quidem Sicilia ac Sardinia satis digna pretia sunt pro tot classibus, tot exercitibus, tot tam egregiis amissis ducibus. Sed praeterita magis reprehendi possunt quam corrigi.
Chacun de nos deux peuples a à ce point convoité les biens de l'autre que, pour sau­ver les siens, il ne s'est pas contenté de porter la guerre en territoire ennemi en Italie pour nous, en Afrique pour vous –
sed et vos in portis vestris prope ac moenibus signa armaque hostium vidistis et nos ab Carthagine fremitum castrorum Roma­norum exaudimus. [...] Quod ad me attinet, jam aetas me senem in patriam rever­tentem unde puer profectus sum, jam secundae, jam adversae res ita erudierunt ut rationem sequi quam fortunam malim; tuam et adulescentiam et perpetuam felicitatem, ferociora utraque quam quietis opus est consiliis, metuo.

Légende:
nominatif
accusatif
génitif
datif
ablatif
verbe

 Si hoc datum erat ita fato
ut qui primus
intuli
bellum populo Romano
et qui habui
totiens victoriam prope
in
manibus
is
venirem ultro
ad petendam pacem
laetor potissimum 
te datum sorte mihi
a quo peterem.
 Si cela avait été donné ainsi par le destin
à savoir que [moi] qui le premier
causa la guerre au peuple Romain
et qui a eut si souvent la victoire proche
dans les mains
je viendrais de moi-même
pour demander la paix
je me réjouis par dessus tout[de ce que]
tu as été donné par le sort à moi
pour que je te demande

S'il es vrai que le destin l'avait fixé ainsi, à savoir que moi, qui le premier a déclaré la guerre au peuple Romain, qui a tenu si souvent la victoire finale entre mes mains, je viendrais de mon propre chef pour demander la paix, je suis particulièrement heureux que ce soit toi à qui le sort m'ait réservé de faire cette demande.

 tibi quoque
inter
multa egregia
hoc non fuerit
in ultimis laudum
Hannibalem cecisse tibi
cui dei dedissent
tot victoriam
de ducibus Romanis 
et
imposuisse finem
huic bello
insigni
vestris cladibus
prius quam nostris
 pour toi aussi
parmi beaucoup de choses honorables
ce ne sera pas dans les limites une louange
qu'Hannibal a cédé à toi
à qui les dieux avaient donné
ce nombre de victoire
au sujet des chefs romains
et que tu as placé une limite
à cette guerre
marquée par vos défaites 
plutôt que par nos [défaites]

Pour toi aussi, parmi tant d'actions remarquables, avoir fait céder Hannibal, à qui les dieux avaient offert tant de victoires sur les généraux Romains, et avoir mis un terme à cette guerre marquée davantage par vos défaites que par les nôtres, ne sera pas le dernier titre de gloire.

 Fortuna quoque ediderit
hoc ludibrium casus
ut
ceperim arma
cum tuo patre consule
contulerim signa primum
cum eodem imperatore romano
veniam ad ejus filium
inermis
ad petendam pacem
 La fortune aussi aura causé
cette dérision du sort
à savoir que j'aurais pris les armes
avec ton père consul
que j'aurais livré bataille d'abord
avec ce même général  romain
que je viens vers son fils
sans armes pour demander la paix

Et même la fortune a produit cette ironie du sort : alors que ton père était consul, quand j'ai pris les armes, et qu'il fut le premier général romain que j'ai combattu, c'est à toi, son fils, qu'aujourd'hui, sans armes, je viens demander la paix.

 Quidem fuerat optimum
mentem datam esse notris patris
ab dis
ut
essemus contenti imperio
vos Italiae
et nos Africae
enim neque quidem vobis
Sicilia ac Sardinia
ne
sunt pretia digna
pro tot classibus, tot exercitibus
tot ducibus tam egregiis
amissis
 certes cela avait été meilleur que
du bon sens soit donné à nos pères
par les dieux
à savoir que nous soyons content du pouvoir
vous de l'Italie
nous de l'Afrique
en effet,  ni même pour vous
la Sicile et la Sardaigne
ne sont un gain digne
pour tant de flottes, tant d'armée
tant de chefs si remarquables
perdus

Certes il aurait mieux valu que les dieux inspirassent à nos pères de se contenter de leur pouvoir, vous sur l'Italie, nous sur l'Afrique, car même pour vous, la Sicile et la la Sardaigne ne représentent pas de gain propre à compenser la perte de tant de flottes, tant d'armées, de tant de généraux si remarquables.

 Sed praeterita possunt
magis
reprehendi quam corrigi
 Mais les choses passées peuvent
plus être critiquées que corrigées

Mais le passé, il est plus facile de le déplorer que de le corriger [...]

Sed vos vidistis
prope in vestris portis
ac moenibus
signa armaque hostium
et nos
exaudimus fremitum
castrorum Romanorum
ab Carthagine
 Mais vous avez vu
pratiquement dans vos portes
et vos remparts
 les enseignes et les armes des ennemis
et nous entendons le grondement
d'un camp Romain
de Carthage

Vous, vous avez vu les enseignes et les armes ennemies pratiquement à vos portes et sous vos remparts et nous, nous entendons, depuis Carthage, le grondement d'un camp Romain [...]

 Quod attinet ad me
jam aetas
jam secundae res
jam adversae
ita erudierunt me revertentem senem
in patriam
unde
profectus sum puer
ut
malim sequi rationem
quam fortunam
metuo tuam adulecentiam
et felicitatem perpetuam
utraque ferociora
quam opus est
quietis consiliis
 [Ce]qui est relatif à moi
maintenant l'âge
maintenant les choses favorables
maintenant les [choses] défavorables

ont tellement appris à moi revenant vieux
dans la patrie

d'où je  suis parti enfant
que je préfère suivre la raison
que la fortune;
Je crains ta jeunesse
et ta réussite constante
choses l'une et l'autre plus féroces
qu'il n'est besoin
à de calmes conseils
En ce qui me concerne, l'âge, car je reviens vieux dans la patrie que j'ai quittée enfant, mais aussi les succès et les revers de la fortune m'ont appris à préférer suivre la raison plutôt que la fortune. Je redoute ta jeunesse et ta réussite constante, deux traits qui rendent plus agressifs qu'il ne le faudrait pour favoriser de sages résolutions.
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