Tite-Live, Ab Urbe condita, XXXIV, 2

« Pour ou contre la loi Oppia, Caton : « Ne cédons pas aux femmes !» »

La loi Oppia avait été votée en 215 av. J. c. Pour interdire un luxe vestimentaire choquant en des temps de guerre et de privations. Mais vingt ans plus tard, en 195, l’économie est florissante et les femmes aspirent à renouer avec l’élégance. Elles n’hésitent pas à descendre dans la rue pour réclamer l'abrogation de la loi. Seul l’austère Caton, qui sera surnommé « le Censeur», tente de s'y opposer par un violent discours devant le peuple.

   « Si in sua quisque nostrum matre familiae, Quirites, ius et maiestatem uiri retinere instituisset, minus cum uniuersis feminis negotii haberemus: nunc domi uicta libertas nostra impotentia muliebri hic quoque in foro obteritur et calcatur, et quia singulas sustinere non potuimus uniuersas horremus. Equidem fabulam et fictam rem ducebam esse uirorum omne genus in aliqua insula coniuratione muliebri ab stirpe sublatum esse; ab nullo genere non summum periculum est si coetus et concilia et secretas consultationes esse sinas.[…]
   Maiores nostri nullam, ne priuatam quidem rem agere feminas sine tutore auctore uoluerunt, in manu esse parentium, fratrum, uirorum: nos, si diis placet, iam etiam rem publicam capessere eas patimur et foro prope et contionibus et comitiis immisceri. Quid enim nunc aliud per uias et compita faciunt quam rogationem tribunorum plebi suadent, quam legem abrogandam censent? Date frenos impotenti naturae et indomito animali et sperate ipsas modum licentiae facturas[…] omnium rerum libertatem, immo licentiam, si uere dicere uolumus, desiderant. Quid enim, si hoc expugnauerint, non temptabunt?
Légende:
nominatif
vocatif
accusatif
génitif
datif
ablatif
locatif
verbe
 Quitites,
si quisque nostrum familiae
instituisset retinere
in sua matre
jus et maiestatem viri
haberemus minus negotii
cum universis feminis
Romains,
si chacun de notre famille
avait eu soin de conserver
sur sa mère
le droit et la dignité d'homme
nous aurions moins de difficulté
avec toutes les femmes.


"Romains, si chacun de nous avait eu soin de conserver à l'égard de son épouse ses droits et sa dignité de mari, nous n'aurions pas affaire aujourd'hui à toutes les femmes.
nunc libertas victa
domi
impotentia muliebri 
hic quoque in foro
obteritur et calcatur 
et quia non
potuimus sustinere
singulas
horremus universas.
Maintenant la liberté vaincue 
à la maison
par l'incapacité des femmes  à se dominer
ici aussi au forum
est écrasée et foulée aux pieds
et parce que nous n'avons pas pu résister
à chacune en particulier
nous [les] redoutons toutes ensemble.

Mais après avoir, par leur violence, triomphé de notre liberté dans l'intérieur de nos maisons, elles viennent jusque dans le forum l'écraser et la fouler aux pieds; et, pour n'avoir pas su leur résister à chacune en particulier, nous les voyons toutes réunies contre nous. 

 Equidem ducebam
esse
fabulam et rem fictam
in aliqua insula 
omne genus virorum
sublatum esse ab stirpe
coniuratione muliebri.
 Certes je considérais
être une fable et une invention
[à savoir que] sur une île
toute une race d'hommes
a été exterminée de fond en comble 
par une conjuration féminine

Je l'avoue, j'avais toujours regardé comme une fable inventée à plaisir cette conspiration formée par les femmes de certaine île contre les hommes dont elles exterminèrent toute la race.

 ab nullo genere
est summum periculum
sinas esse
coetus et concilia
et consultationes secretas
 d'aucune race
il n'est pas de très grand danger
si tu permets qu'il existe
des rassemblements et des réunions
et des délibérations secrètes

Mais il n'est pas une classe de personnes qui ne vous fasse courir les plus grands dangers, lorsqu'on tolère ses réunions, ses complots et ses cabales secrètes. [...]

 Nostri maiores voluerunt
feminas agere nullam rem
ne quidem privatam
sine auctore tutore
esse in manu
parentium, fratrum, virorum
 nos ancêtres voulurent que
les femmes mènent aucune affaire
pas même privée
sans un garant protecteur
[qu'elles] soient sous le joug
d'un père, d'un frère, d'un mari

Nos aïeux voulaient qu'une femme ne se mêlât d'aucune affaire, même privée, sans l'autorisation  d'un tuteur; elle était sous la puissance du père, du frère ou du mari.

 Nos, si placet diis,
patimur etiam iam
eas
capessere rem publicam
et prope foro
immisceri contionibus et comitiis
 nous, s'il plait aux dieux,
[nous] souffrons même désormais
qu'elles prennent en main l'état
et [que] à proximité du forum
elles se mêlent aux tribunes et aux comices
 
Et nous, grands dieux!, nous leur permettons de prendre en main le gouvernement des affaires, de descendre au forum, de se mêler aux discussions et aux comices

enim nunc
per uias et compita 
quid faciunt
aliud
quam
suadent
rogationem tribunorum plebi
quam censent
legam abrogandam?
 En effet maintenant
à travers les rues et les places
que font-elles d'autre
qu'elles conseillent (que de conseiller)
la proposition des tribuns de la plèbe
qu'elles décident (que de décider)
la loi devant être abrogée?

Car aujourd'hui, en parcourant les rues et les places, que font- elles autre chose que d'appuyer la proposition des tribuns et de faire abroger la loi? 

 date frenos
impotenti naturae et indomito animali
et
sperate ipsas
facturas modum licentiae[...]
 donnez des freins
à cette nature effrénée et animal indompté
et espérez qu'elles-mêmes
feront la mesure de la liberté

Lâchez la bride aux caprices et aux passions de ce sexe indomptable, et flattez-vous ensuite de le voir; à défaut de vous-mêmes, mettre des bornes à son emportement. 

 vere desiderant 
libertatem omnium rerum
si
volumus dicere
immo licentiam
 Vraiment elles désirent 
la liberté  de toutes les choses
si nous voulons dire
au contraire la licence

Ce qu'elles veulent, c'est la liberté la plus entière, ou plutôt la licence, s'il faut appeler les choses par leur nom. 

 enim si expugnaverint hoc
quid  non
temptabunt?
 en effet si elles triomphent de cela
que ne tenteront-elles pas?

Qu'elles triomphent aujourd'hui, et leurs prétentions n'auront plus de terme!" 
Comments